Biographie ou Histoire :
Alors que la répression bat son plein au Maroc, l’idée de constituer une caisse de résonance en dehors du pays en faveur des détenus d’opinions fit son chemin. Profitant d’une forte présence communautaire maghrébine généralement et marocaine plus particulièrement en Belgique, les Comités sont directement nés d’une demande formulée par les militants marocains. Durant l’été 1970, un projet d’un Comité de lutte contre la répression au Maroc était né au Maroc. Cet embryon regroupait cinq associations : l'Union nationale des étudiants du Maroc, l’Union nationale des ingénieurs du Maroc, l’Association des jeunes avocats, l’Union des écrivains du Maroc et le Syndicat national de l’Enseignement supérieur. Mais ce projet a été tout de suite interdit par le régime.
Deux ans plus tard, entre février et mars 1972, le premier Comité voit le jour à Paris. A la demande des militants marocains provenant des plus importants mouvements politiques de gauche vus plus haut, le Comité parisien apparaîtra comme la première expérimentation en termes de dénonciation de la répression au Maroc. En son sein émergeront deux noms incontournables : François Della Sudda et Christine Daure-Serfaty (Ziad El Baroudi, 2015).
Né en 1932, François Della Sudda a connu le traumatisme de la guerre d’Algérie et s’est fermement engagé pour l’indépendance. Membre fondateur en 1960 du Parti socialiste unifié français, il part soutenir la construction de l’Algérie indépendante, où il préside l’AGEP, association d’enseignants très critiques de la coopération, dont le slogan est « Ni mercenaires, ni missionnaires, coopérants ! ». Plus tard, il enseigne les lettres au Maroc et prend position contre la dictature qui s’y installe. « Il a connu Ben Barka et certains nationalistes de gauche marocains, algériens et tunisiens », rappelle son ami l’historien Maâti Monjib. En 1963, il aide Hamid Berrada, alors président de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM), à quitter le Maroc en le conduisant à la frontière algérienne. Son engagement lui vaudra d’être expulsé du Maroc. De retour en France, il devient directeur de la Maison du Maroc à la Cité universitaire de Paris. Lors de l’occupation de la maison par les étudiants qui protestaient contre la volonté du Maroc de fermer ce foyer progressiste, François Della Sudda s’interpose et empêche l’évacuation. Il est poursuivi pour avoir fait étudier à ses élèves de troisième un texte de Boris Vian. Au procès, il rencontre Maitre Henri Leclerc, avec qui il s’implique à la Ligue des droits de l’Homme, dont il devient secrétaire général adjoint. Là, pendant plus de quarante ans, il se mobilise pour diverses causes : la Palestine, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, les violences racistes, les discriminations, les abus policiers, les droits des étrangers en France, le droit de vote des résidents non communautaires. Il anime une Commission nationale sur les relations entre les citoyens, la police et la justice, qui publie de nombreux rapports pour prévenir les abus. Il fut l’un des fondateurs et le premier président du CISA (Comité international de soutien au syndicalisme autonome algérien). En 1972, suite aux arrestations de nombreux militants d’Ilal Amam et de 23 Mars au Maroc, dont Abdellatif Laâbi et Abraham Serfaty dont il connaissait la revue
Souffles, il participe, aux côtés du militant maoïste
Gilbert Mury, à la création des Comités de lutte contre la répression au Maroc, dont le but est d’alerter l’opinion internationale sur les violations des droits de l’humain et d’organiser le soutien aux prisonniers politiques. Une quinzaine de comités s’implantent dans plusieurs villes de France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Italie et en Espagne. Les Comités publient un bulletin mensuel, Maroc répression, qui arrive à passer au Maroc. À la demande de militants marocains d’Ilal Amam et de 23 Mars installés en France ou qui s’y étaient exilés et souhaitaient préserver leur anonymat, François Della Sudda devient directeur de publication, entre autres revues, d’Anfas et Souffles nouvelles séries (Kenza Sefrioui, 2017).
Christine Daure (1926-2014) a grandi avec la Résistance. Son père, le physicien Pierre Daure (1892-1966), recteur de l’université de Caen révoqué par Vichy, fut, le 10 juillet 1944, le premier préfet nommé par le général de Gaulle dans le premier département libéré, le Calvados. Son oncle maternel, le diplomate François Coulet (1906-1984), rejoignit la France Libre et fut nommé, dès le 12 juin 1944, Commissaire de la République pour la Normandie. Devenue professeure d’histoire et de géographie, elle s’installa au Maroc en 1962. Sensibilisée aux mouvements d’extrême gauche marocains, elle fut amenée à soutenir les activités de ces derniers (publications, protection envers les étudiants recherchés etc.). Elle fit connaissance d’Abraham Serfaty alors arrêté une première fois en 1972 et ne put se marier avec lui qu’en 1986 durant son emprisonement à Kenitra. Elle milita activement pour créer le premier Comité à Paris avec François Della Sudda et contriuba largement à relayer auprès de Gilles Perrault des informations relatives aux conditions de détention dans les prisons marocaines pour la publication de
Notre ami le Roi (Gallimard, 1991). En 1993, elle republia
Rencontres avec le Maroc (La Découverte), précédement publié sous le pseudonyme de Claude Ariam (1986). Dans leur exil parisien, Abraham et Christine publièrent également la même année un livre à deux voix,
La Mémoire de l’autre (Stock). Un an après leur retour au Maroc, Christine publia
Lettre du Maroc (Stock, 2000) où elle s’interrogeait sur la page qui se tournait et, surtout, qui allait s’écrire avec l’avènement du nouveau roi Mohammed VI, fils d'Hassan II.
Le rôle des Comités était d'informer sur la répression, de soutenir matériellement les victimes, d'assurer leur défense par l'envoie de missions juridiques et médicales et de populariser la lutte contre ces répressions. L'Association de soutien aux Comités de lutte contre la répression au Maroc avait quant à elle pour but de faciliter l'action des différents Comités de France. Hébergée dans les locaux du Comité parisien (14 rue de Nanteuil dans le XIVe arrondissement), elle était en lien avec les autres Comités européens, fédérés par le bulletin
Maroc répression qui entrait clandestinement au Maroc. Très actifs jusqu'au milieu des années 1980, les Comités semblent avoir définitivement cessé leurs activités au début des années 2000.